Les élections municipales auront-elles lieu ?
La question peut vous paraître étrange. A un an de l’échéance, elle mérite pourtant d’être posée. L’interrogation ne porte pas sur le scrutin en lui-même : il est peu probable qu’une nouvelle pandémie oblige à reporter les élections. Le risque est plutôt que la campagne passe à la trappe, que les municipales 2026 s’effacent dans le hors-champ d’une actualité marquée par un contexte géopolitique inflammable et une situation gouvernementale chaotique.
Élection-prétexte ou élection-fantôme : deux faces d’un même absence
Deux cas de figure différents se profilent. D’un coté (notamment dans les grandes villes), une concurrence exacerbée entre partis politiques, qui ne verront dans ce scrutin qu’un sondage grandeur nature un an avant la présidentielle, chacun cherchant à nationaliser l’élection. De l’autre, une absence de compétition… par manque de listes alternatives ! En 2020, les électeurs n’avaient qu’un seul choix possible dans la moitié des communes entre 1000 et 3500 habitants. Cette situation a quasiment doublé pour les villes supérieures à 3500 habitants, et concernait plus de 400 d’entre elles.
Vu le contexte, on en vient à se demander si ce n’est pas mieux comme ça. Quand la campagne s’annonce hyper-violente, entre les candidats mais aussi envers eux, autant la réduire au minimum en faisant profil bas. Qui a vraiment envie d’aller au front dans la période actuelle, pour se prendre en pleine figure toutes les colères du moment ? Le tout pour se retrouver « à portée de baffes » durant les six prochaines années, pris à parti par ses fervents opposants comme par ses supporters déçus. Déserter la campagne serait-il alors le meilleur moyen de servir la démocratie ?
Pas si sûr... Une élection sans campagne ni débat, c’est prendre le risque d’acter le divorce entre une vie politique qui tourne à vide (entre le combat de catch et la course de petits chevaux) et une action publique dénuée de toute boussole démocratique.
La crise gouvernementale sans fin dans laquelle on se trouve en apporte une triste démonstration. Episode 1 : un président sortant qui refuse de faire campagne en espérant faire acter ses projets de réforme sur un malentendu, ce qui débouchera sur des mois de manifestation contre une réforme des retraites validée sans débat. Episode 2 : des élections législatives éclairs suite à une dissolution surprise, qui débouche sur un hémicycle fragmentée avec des partis incapables de s’entendre pour former une coalition majoritaire. Cette instabilité n’est pas uniquement le fruit d’une prétendue absence de « culture de la négociation » chez les parlementaires français, elle est aussi le fruit d’une campagne réduite à peau de chagrin : comment s’allier pour gouverner quand il a fallu jouer l’affrontement tout azimut pour avoir une chance de l’emporter ?
À qui et à quoi doit servir une campagne électorale ?
Citoyens, (futurs) élus mais aussi agents publics, nous sommes nombreux à avoir besoin que la campagne des municipales ait lieu ! Car ces élections ne servent pas qu’à désigner les prochains maires ou à sonder les rapports de force entre partis. C’est aussi et avant tout (en tout cas ça devrait être) un espace de délibération collective pour mettre en débat les choix d’action publique locale.
Le temps de la campagne est souvent présenté comme un temps à part. C’est la (courte) séquence où les praticiens de l’action publique se mettent en retrait pour laisser la place aux militants politiques (même si au niveau communal il s’agit parfois des mêmes personnes). Les politiques cessent d’être des élus pour redevenir des candidats, les administrations entrent en période de réserve.
Ce changement de décor structure le bon fonctionnement de la vie démocratique. Il est là pour rappeler qu’aucun.e élu.e n’est propriétaire de son mandat. Coté politique, il permet de ré-ouvrir le jeu en cassant la mise en scène figée du couple majorité/opposition pour donner à chaque liste candidate la possibilité de livrer ses propositions au débat. Coté technique, il oblige les collectivités à mettre sur pause leurs routines administratives pour se placer en position d’écoute.
Tout l’intérêt d’une campagne, c’est de réussir à imbriquer les deux fonctions d’une élection en démocratie : désigner les représentants / donner à voir et à comprendre les représentés. Le risque serait de braquer les projecteurs sur le ring, alors que l’essentiel se joue (aussi) du côté du public. Une campagne, ça sert à faire exister ce/ceux qu’il va falloir représenter durant tout le mandat !
Qui sont « les citoyens » que les élus passeront leur temps à invoquer ? Que vivent « les vrais gens » au quotidien et quels sont leurs besoins d’actions publique ? Quel regard portent-ils sur toutes les injonctions contradictoires qu’ils expriment vis-à-vis des institutions ? Voilà pourquoi la réussite d’une campagne ne concerne pas que les candidats. Elle a aussi des répercussions sur le bon fonctionnement démocratique des institutions. Et ce d’autant plus que le tournant austéritaire à l’œuvre, tout comme l’intensification des dérèglements écologiques, vont obliger les collectivités à faire des choix.
Contribuer à cet exercice démocratique pour se redonner un peu d’espoir
Comme professionnels de l’action publique, nous regardons ces élections avec appréhension. Alors on s’est dit qu’il fallait que nous aussi on prenne notre part à cet exercice démocratique. Pas en se présentant aux élections (même si on vous encourage à le faire), mais en encourageant les candidats à se projeter sur le lendemain des élections. Car c’est là que le plus dur commence, et que les élus locaux n’y sont pas toujours préparés (c’est vrai pour les nouveaux élus, mais aussi pour les sortants qui se retrouvent parfois bloqués la tête dans le guidon).
Engager le dialogue avec les candidats tout en s’adressant au futur élu qui est en vous, alimenter vos réflexions politiques en partageant nos questionnements sur l’action publique à venir : voilà l’exercice d’équilibriste que nous vous proposons de faire à travers cette lettre mensuelle à destination des 500 000 futurs élus municipaux. Un an après avoir proposé d’en finir avec la démocratie participative, c’est aussi un moyen de mettre notre analyse à l’épreuve des faits. Les élections peuvent-elles contribuer à rendre l’action publique plus démocratique ? Il nous reste un an pour vous aider à en faire la démonstration.
Haut les coeurs !
Manon Loisel et Nicolas Rio
Exercice pratique : dessine-moi les critères d’une campagne réussie
Pour se lancer, on vous propose de prendre quelques minutes pour réfléchir à la question suivante : sur quels critères d’évaluation pourrez-vous dire que votre campagne a été réussie ?
Pour les candidats que vous êtes, la réponse est toute trouvée : une campagne réussie, c’est celle qui permet de remporter l’élection ! Mais pour les élus que vous serez, la question se complique. Projetons-nous six mois après le début du mandat : à quelles conditions pourrez-vous (vous) dire que votre campagne aura été utile ? Que vous a-t-elle apporté pour l’exercice de votre fonction ? Sachant qu’à ce stade, vous ne savez pas encore si vous siégerez du coté de la majorité ou de l’opposition.
Scénario A : vous êtes au pouvoir. Maintenant il va falloir réussir à en faire quelque chose…
Scénario B : vous êtes dans l’opposition. Avec pour mission de continuer à porter le combat !
Il faut donc que vos réponses fonctionnent pour chacun des deux scénarios. C’est tout l’intérêt de l’exercice : définir les critères d’évaluation de la campagne, indépendamment de son résultat électoral.
La question peut vous paraître prématurée : « l’important c’est de gagner, le reste on verra plus tard. » Sauf qu’il n’y aura qu’une seule campagne, et qu’elle déterminera en partie la suite de la mandature. Impossible de refaire le match une fois qu’il a déjà eu lieu. C’est maintenant qu’il faut y réfléchir, pour ne pas avoir de regrets.
Comme on sait que vous êtes bien occupés et que la question peut vous paraître un peu théorique à ce stade, nous avons tenté de faire l’exercice nous-mêmes. Voici trois critères qui nous viennent en tête si on devait évaluer la capacité d’une campagne à démocratiser l’action publique.
Votre campagne aura-t-elle permis de rendre audible d’autres voix que la vôtre ?
« Une personne = une voix » Si ce principe est au fondement de la démocratie, sa mise en œuvre reste un combat. L’ampleur de l’abstention et sa sociologie sont là pour nous le rappeler. Les élections seraient-elles condamnées à renforcer les inégalités politiques, en se concentrant uniquement sur les personnes qui ont déjà les moyens de se faire entendre (dans les urnes comme sur les marchés) ?
C’est le risque. Mais on peut aussi voir la campagne comme un outil de redistribution du pouvoir et de l’écoute. C’est le (seul ?) moment du mandat où les (futurs) élus vont faire du porte-à-porte et passent du temps à silloner le terrain. En quoi cela vous aide à élargir votre compréhension de la population et du territoire que vous allez devoir représenter ? Est-ce que la campagne vous a fait découvrir des réalités que vous ignoriez ? A-t-elle été utile pour comprendre des préoccupations restées en dehors de vos radars ?
La question vaut pour vous mais aussi pour les électeurs. Votre campagne vient-elle encourager vos électeurs à se concentrer sur leurs propres difficultés ou à s’ouvrir sur celles de leurs voisins, pour comprendre qu’elles les concernent aussi ? Les municipales, c’est le moment de rappeler à tous les citoyens que le combat pour l’école publique ne concerne pas uniquement les profs et les parents d’élèves, que la lutte contre les discriminations ne doit pas porter uniquement sur ceux qui en sont victimes, que l’adaptation au dérèglement climatique dépend aussi de ce que feront les voisins, etc.
Votre campagne aura-t-elle apporté des réponses à la question « on prend sur quoi ? »
Le problème d’une campagne, c’est qu’elle incite les candidats à multiplier les promesses… sans être en capacité de les tenir une fois élus. Pour l’édition 2026, la crise budgétaire risque d’accentuer encore ce décalage, et la défiance qu’il suscite.
Difficile de dire à quoi ressemblera le prochain mandat, mais ce qui est sûr, c’est qu’il sera marqué par une tension croissante sur les ressources (financières et naturelles). Alors autant l’assumer pendant la campagne, pour avoir un débat collectif sur les choix d’allocation de la ressource. Le problème avec l’austérité imposée, ce n’est pas qu’on réduit les dépenses mais qu’on le fait sans délibération démocratique.
Votre campagne a-t-elle permis de défendre des alternatives crédibles face à l’austérité qui vient, pour sortir du TINA thatcherien ? A-t-elle aidé à se mettre au clair sur la priorisation des dépenses locales et sur les marges d’évolution possible ? Les électeurs en sortent-ils plus lucides sur vos futures capacités d’action ?
Votre campagne aura-t-elle réussi à redonner foi en l’action collective ?
On peut voir la campagne comme une compétition électorale, où tous les coups sont permis. On peut aussi la prendre comme une expérience à vivre, comme un moyen de prouver la force et la vertu de l’action collective.
Votre campagne a-t-elle donné envie de s’engager localement ? A-t-elle apporté la démonstration qu’on ne peut pas dire « tous les mêmes » / « tous pourris » pour parler des élus locaux ? A-t-elle suscité ou rendu visible des mobilisations collectives qui pourront se prolonger après l’élection ?
Faire campagne, c’est aussi poser une ambiance qui donne envie (ou non) de s’impliquer, qui contribue (ou non) à créer des liens entre les habitants d’une même commune, qui démontre (ou non) qu’on peut être plus forts à plusieurs… Avec aussi l’enjeu de bien doser le niveau d’ambition, pour éviter l’effet gueule de bois une fois l’élection passée.
À vous !
Il y aurait bien d’autres critères possibles, en fonction du contexte et de votre vision de la démocratie locale. Notre but n’est pas d’y répondre à votre place, mais de vous encourager à faire l’exercice. En solo derrière votre écran ou en équipe lors d’une prochaine réunion de campagne, c’est le bon moment pour se poser la question avant d’être aspiré dans le marathon électoral.
Remontées de terrain : partagez-nous votre témoignage
Si vous nous avez lu jusqu’ici, c’est que le sujet vous préoccupe. Alors nous serions à notre tour bien preneurs de vous entendre, pour avoir votre regard sur la façon de définir les contours d’une campagne démocratiquement réussi. Il suffit de nous écrire un mail.
> Vous êtes élu ? Racontez-nous le regard que vous portez aujourd’hui sur la campagne de 2020 à l’heure où le mandat se termine. Quelles sont les traces qu’elle a laissé dans la durée ? Quels sont les conséquences/pièges à retardement que vous n’aviez pas anticipé ? Si c’était à refaire, qu’aurait-il fallu travailler davantage pour la campagne soit utile à l’élu que vous êtes devenu ?
> Vous êtes candidat et vous avez pris le temps d’échanger en équipe sur les bons critères pour évaluer la qualité démocratique de votre future campagne ? Partagez nous les résultats de l’exercice, et ce qui a fait débat entre vous !
> Vous êtes agent public ? (bienvenue quand même) Décrivez-nous la campagne des municipales dont vous auriez besoin pour être en capacité de bien faire votre travail dans le prochain mandat.
C’est fini pour cette fois-ci. Rendez-vous le mois prochain pour parler backlash écologique et politiques de transition.
Si ce texte vous a plu, n’hésitez pas à le partager autour de vous… et à transmettre cette lettre aux (futurs) élus de votre commune !