Faire campagne face au backlash écologique
De plus en plus de citoyens pensent que la transition ne se fait pas pour eux, mais contre eux. Il vous reste un an pour leur prouver le contraire.
Bienvenue sur la lettre aux 500 000 (futurs) élus municipaux. Un billet chaque mois assorti d’un exercice pratique pour parler action publique et démocratie locale en vue des #municipales2026.
Ce mois-ci, on s’interroge sur le devenir des politiques de transition dans un contexte de backlash écologique. Après la vague verte de 2020, les élections de 2026 sont-elles condamnées à acter le recul des politiques de transition ? Voire à en organiser le démantèlement ?
Nous sommes convaincus que cela n’a rien d’une fatalité. La campagne des municipales arrive au bon moment pour assumer la dimension politique de la transition écologique. Reste à savoir comment… C’est là-dessus que nous vous proposons de réfléchir.
Notre lettre précédente “Les élections municipales auront-elles lieu ?” portait sur les critères d’une campagne démocratique réussie.
Chers futurs élus municipaux,
Vous voilà parti en campagne. On vous en remercie et on vous souhaite bien du courage ! Car il vous en faudra pour affronter la houle d’une campagne par gros temps. C’est sans doute sur la question écologique que la tempête s’annonce la plus forte. Souvent présentées comme consensuelles, les politiques locales de transition concentrent les tensions. On le voit sur les pistes cyclables comme sur les éoliennes, sur l’artificialisation des sols comme sur la gestion de la ressource en eau.
De nombreuses collectivités avec qui l’on discute semblent tétanisées par la crainte de l’effet-backlash : « à l’approche des élections, mieux vaut éviter d’aborder les sujets qui fâchent ». Ce réflexe pose question en termes démocratiques : à quoi sert une campagne si elle esquive les sujets qui font débat ?
Mettre la transition sous le tapis, c’est aussi prendre le risque de laisser le champ libre à tous ceux qui s’y opposent. C’est ce qu’il s’est passé lors des dernières élections européennes, en pleine crise agricole : plus personne ne voulait parler d’écologie. Et pourtant, les politiques de transition ont été au cœur de la campagne avec une multiplication des attaques contre le Green Deal.
Mais alors que faire ? Il s’agit d’abord de décrypter les sources de cet effet retour de bâton, pour ne pas se tromper de backlash. Dans un papier publié il y a 10 jours, nous montrons que ce qui génère de la colère, ce n’est pas tant l’écologie que l’injustice des politiques de transition… et leur impuissance ! La question démocratique n’est plus de savoir si l’on est pour ou contre la transition, mais qui va supporter les frais (financiers et humains) des dérèglements écologiques en cours et à venir comme des politiques mises en place pour y faire face.
Si le backlash existe, c’est qu’un nombre croissant de citoyens ont le sentiment que les politiques locales de transition ne se font pas pour eux, mais contre eux. Ce qui apparaît comme une conséquence à retardement de leur dépolitisation. C’est bien parce qu’elle a été (à tort) présentée comme une politique consensuelle qui bénéficierait à tout le monde, que la transition écologique finit par être regardée avec suspicion. Quand elle n’est pas considérée comme une arnaque ! Nous avions été marqué par un témoignage d’un maire dans l’Aisne : « Ici, le seul moment où l’on entend parler d’écologie, c’est quand on se fait démarcher par téléphone pour nous vendre une pseudo-isolation à 1€. »
Le décalage de perception s’accentue au fur et à mesure que les politiques locales de transition passent au stade de la mise en œuvre. On le voit pour les Zones à Faibles Emissions comme pour la transformation des espaces publics : les effets négatifs sont souvent plus visibles que les effets positifs. Ce qui peut vite laisser penser que ces politiques n’ont que des opposants, et les transformer en machine à perdre.
Ce n’est pas qu’un problème de perception. Si les politiques de transition continuent d’être dénoncées comme anti-sociales c’est aussi que leur dimension redistributive n’est pas assez travaillée (techniquement) ni débattue (politiquement). Alors qu’il s’agit de la question centrale, et pas uniquement quand on parle de fiscalité écologique. Au niveau local, la transition c’est d’abord et avant tout des choix de (ré)allocation de ressources en partage : les sols, l’eau, l’air… mais aussi l’usage des espaces publics ou l’accès aux espaces verts.
Si nous vous racontons tout ça, c’est pour vous inviter à ne pas vous tromper d’élections. L’heure n’est plus à la déclaration d’état d’urgence écologique ni à la liste des 10 mesures volontaristes pour amplifier la transition écologique et sociale sur votre territoire. Six ans plus tard, c’est sur le « pour qui ? » et non sur le « comment ? » qu’il va vous falloir faire campagne.
Haut les coeurs !
Manon Loisel et Nicolas Rio
Exercice pratique : qui seront les gagnants et les perdants de vos politiques de transition ?
Bâtir une transition écologique juste et démocratique, tout le monde est pour ! Mais comment on s’y prend ? Voici une proposition de recette. Prenez le chapitre transition écologique de votre programme. Pour chaque mesure proposée (développer les pistes cyclables ou les ENR, végétaliser l’espace public, généraliser le bio dans les cantines, rendre le stationnement payant, passer à la redevance incitative sur les déchets…) essayez de compléter les deux colonnes ci-dessous : qui y perd ? Qui y gagne ?
Cette lecture binaire pourra vous paraître un peu caricaturale. « La frontière n’est pas si nette entre les deux colonnes » nous direz-vous. C’est vrai, et c’est justement tout l’intérêt de l’exercice : s’obliger à se poser la question pour tenter d’y voir plus clair sur les effets redistributifs de vos politiques de transition. Sachant que c’est aussi la question que se poseront vos électeurs (plus ou moins consciemment) : « ce que je peux y gagner est-il supérieur à ce que je risque d’y perdre ? ».
A ce stade de la campagne, la ligne de démarcation est encore mouvante. Et c’est à vous de les travailler ! Il vous reste un an pour démontrer que les gagnants potentiels sont majoritaires, tout en assumant de faire des perdants.
La consigne n’est pas plus compliquée que ce tableau à double-entrée. Il suffit de se jeter à l’eau ! Voici quelques conseils pour vous accompagner dans l’exercice (que nous testons depuis trois ans avec nos étudiants). Utiles pour la campagne, ils vous serviront aussi tout au long du mandat pour porter un regard politique sur les propositions techniques produites par l’administration.
Conseil 1 : assumez de faire des perdants
Votre premier réflexe va être de dire « tout le monde y gagne ! ». Alors qu’on sait que ce n’est pas vrai (au moins à court terme), car il s’agit d’allouer des ressources limitées. Ouvrir une piste cyclable ou végétaliser les rues, c’est réorienter une partie de l’espace public d’un usage à un autre. Est-ce que ça se fait au détriment des piétons ou des automobilistes ? Des usagers/riverains des grands axes ou des rues secondaires ?
Si vous voulez être crédibles sur la colonne des « gains », il faut aussi assumer qu’il y aura des « pertes ». Faire de la politique, c’est aussi choisir ses perdants et justifier en quoi il vous semble légitime de les mettre à contribution davantage (comme pour les politiques fiscales). Si vous n’assumez pas de voir figurer telle ou telle partie de la population dans la colonne des perdants, alors il faut modifier votre politique pour qu’ils en bénéficient davantage.
Conseil 2 : précisez de qui vous parlez
Pour se lancer dans l’exercice, le plus simple est souvent de repartir des accusations de vos adversaires, qui vont vous reprocher de « vous préoccuper uniquement des … » (au choix : les bobos de centre-ville, les chefs d’entreprises, les plus précaires) « au détriment des … » (au choix : les classes moyennes, les plus précaires, les habitants historiques, etc). Vous retrouvez-vous dans ces accusations ? Quels sont vos arguments pour démontrer qu’elles sont mensongères sur chaque catégorie ?
Pour être convaincants, il va falloir être concret. Ce qui suppose de sortir des argumentaires génériques (« la qualité de l’air s’est améliorée » ou « notre territoire est devenu plus résilient ») pour travailler l’incarnation de vos promesses : en quoi ça améliore le quotidien de tel ou tel habitant ? En quoi ça le protège face aux dérèglements à venir ?
Conseil 3 : comparez avec les politiques défendues par vos adversaires
En démocratie, l’enjeu est moins d’affirmer que votre solution est la meilleure que de démontrer qu’elle est la moins pire. Ce qui invite à expliciter les politiques de transition de vos adversaires (même si elles sont rarement présentées comme telles), pour leur faire subir la même analyse. Quels sont les perdants de la gratuité du stationnement ou d’une absence de régulation de l’usage des climatiseurs individuels ?
Comparer les stratégies de transition, c’est aussi confronter vos adversaires aux conséquences à retardement des choix qu’ils défendent aujourd’hui, pour pointer que les gagnants d’aujourd’hui risquent bien d’être les perdants de demain. La stratégie de l’inaction s’avère souvent (plus) coûteuse et (plus) inégalitaire : encore faut-il en apporter la preuve !
Conseil 4 : prouvez que vous êtes majoritaires
Votre enjeu en tant que futur élu, c’est de surmonter l’opposition dogmatique entre les pro et les anti (qui ne représentent qu’une part réduite de la population), pour trouver le point de compromis capable de satisfaire la (plus grande) majorité des habitants. La question n’est pas de savoir si les gens sont pour ou contre le vélo ou les éoliennes, mais à quelles conditions leur développement devient acceptables.
Il faut voir la campagne comme un travail d’enquête, pour diversifier les situations prises en compte dans le débat. Cela peut être par les données statistiques pour relativiser le poids de chaque partie en présence (surtout quand elles crient très fort) et par le recueil de témoignages pour comprendre en quoi le sujet peut les impacter positivement ou négativement.
A vous de jouer !
On pourrait discuter des heures de l’intérêt de l’exercice. Certains nous reprocheront d’être trop naïfs. D’autres nous diront que ce n’est pas en parlant des perdants qu’on arrive à rendre la transition désirable. Le mieux pour savoir ce que ça donne, c’est encore de le tester !
Si vous le faites lors de votre prochaine réunion de campagne, envoyez-nous une photo du tableau complété. On est curieux de voir ce que ça donne.
La prochaine lettre aux 500 000 portera sur la composition de la liste des futurs élus et sur les moyens de démocratiser la représentation politique locale (y a du boulot !). Pour la recevoir directement dans votre boite mail, laissez-nous votre adresse.
Trois ressources pour continuer à cogiter
Si vous avez envie d’en lire davantage, vous pouvez trouver le format long sur La Grande Conversation : Le backlash écologique qui vient, réflexions sur les municipales 2026. On y explique pourquoi il faut sortir l’écologie du clivage entre action et inaction, face au mensonge de tous ceux qui se présentent en défenseurs du statu quo.
Sur l’analyse gagnants/perdants, nous vous conseillons le policy brief du LIEPP : « Qui supporte les coûts des transitions environnementales ? Penser les inégalités face aux risques sociaux liés au changement climatique », signé par trois spécialistes de l’Etat-providence (Anne-Laure Beaussier, Tom Chevalier et Bruno Palier). C’est ce qu’on a lu de mieux sur classes moyennes et backlash écologique.
Démocratiser la transition écologique, ça passe aussi par changer de point de vue sur la question. C’est ce que nous avions tenté avec les acteurs politique de la ville, pour interroger la décarbonation de mobilités vue des quartiers populaires. L’occasion de réaliser que si les vélos électriques (fortement subventionnés par les collectivités) bénéficient surtout aux jeunes cadres dynamiques, les trottinettes sont une solution pertinente pour les habitants des QPV. Alors que pour les acteurs publics, elles sont surtout vue comme un problème : cherchez l’erreur…
C’est fini pour cette fois-ci. Si cette lettre vous a plu, n’hésitez pas à la partager autour de vous et à la transmettre aux (futurs) élus de votre territoire. Nous l’avons écrit pour eux !